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EDITO / Facebook, entre censure et permissivité

« Cachez ce sein (ou ce sexe, c’est selon*) que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées. » En grands lecteurs qu’ils sont (très) probablement du Tartuffe de Molière, les algorithmes de Facebook et ceux de ses collaborateurs en charge de la « modération des contenus » sur le réseau social, ont encore frappé. Pour une fois de plus manquer leur cible!

 

fbIl y a quelques jours, l’Aftenposten, l’un des plus grands quotidiens norvégiens publiait sur sa page Facebook une photographie présente dans tous les livres d’Histoire.

Celle de « la fillette au napalm », un cliché pris il y a 44 ans par le photographe et Prix Pulitzer, Nick Ut, quelques semaines avant la fin de la guerre du Vietnam.

Mercredi dernier, Facebook envoie un message de mise en garde au quotidien rappelant que les conditions d’utilisation du réseau social « place des limites sur la nudité, afin de limiter l’exposition des différentes personnes utilisant Facebook à du contenu sensible. »

Quelques heures plus tard, Facebook décidait de retirer de lui-même l’image incriminée du compte du quotidien norvégien. Une réaction qui vaut aujourd’hui à Mark Zuckerberg, le P-DG de Facebook, la Une du journal.

Une Une agrémentée d’une lettre ouverte signée du rédacteur en chef du journal Espen Egil Hansen dans laquelle il s’en prend avec virulence à la politique de modération des contenus du réseau social et crie même à la censure.

Si cette réaction est légitime, il convient peut-être à ce stade de remettre quelque peu les choses en perspective. Tout d’abord, ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que l’on peut constater ce type de dérapages de la part de Facebook. Par le passé, le réseau social a déjà montré le peu de goût qu’il avait pour « L’Origine du Monde », le tableau du peintre français Gustave Courbet.

Par ailleurs, ignorer que Facebook s’est construit au fil des ans sur des bases morales prudes si ce n’est conservatrices, qui tiennent tout à la fois de la vision du Monde que peut avoir son P-DG, Mark Zuckerberg, mais aussi à un impératif, celui de l’optimisation de ses revenus, revient quelque peu à « tomber de l’armoire » , ce qui en 2016 ne fait pas très sérieux.

De la même manière, il est également utile de garder à l’esprit que Facebook, n’est pas et n’a jamais été un service public d’aucune sorte, qui serait soumis à une hypothétique obligation de neutralité, mais bien une entreprise privée qui au-delà d’un discours marketing de pure façade n’a de cesse que de continuer, encore et encore à augmenter son chiffre d’affaires.

Peut-être pourrait-on également gloser ici sur l’attitude d’une sphère médiatique de plus en plus schizophrène par rapport à un réseau social dont elle critique désormais d’un côté, haut et fort, le rôle (ou l’absence de rôle) quant à l’accès à l’information, mais qui de l’autre n’hésite pas à jouer le jeu de Facebook et à perdre le contrôle d’une partie de son audience en adoptant des solutions de diffusion de contenus comme Facebook Instant Articles.

"Sur WhatsApp, la traite des êtres humains bat son plein"

Rien de nouveau sous le soleil pourrait-on dire, et il y a fort à parier qu’aussi spectaculaires qu’ils soient, les élans d’indignation de l’Aftenposten pourront faire sourire du côté du siège de Facebook à Menlo Park (Californie).

Voilà, pour l’anecdote qui alimentera le buzz médiatique pour les prochaines 24 heures.

Mais au-delà des poitrines trop généreuses, ou des sexes dont la vision serait à bannir, on constate que dans la galaxie Facebook, des choses bien plus (ou à tout le moins tout aussi) graves se déroulent aujourd’hui. Et plus particulièrement sur WhatsApp, la célèbre messagerie mobile, filiale de Facebook.

Comme le rapporte le quotidien britannique The Guardian et le site américain The Conversation, sur WhatsApp, la traite des êtres humains bat son plein, avec comme pays de prédilection (faudra-t-il s’en étonner?) l’Irak et la Syrie. Bien évidemment, on ne doute pas une seule seconde que les équipes de Facebook travaillent jour et nuit sur le sujet pour à tout le moins éviter que ces atrocités ne transitent par le réseau social, comme le rapporte le Washington Post.

Mais malgré toute l’énergie et les efforts déployés, force est de constater, que WhatsApp, à l’instar d’autres applications comme Telegram et Threema, sert encore trop souvent à la diffusion de la barbarie. Et l’on se prend à (naïvement) espérer que l’Aftenposten ou d’autres grands titres de la presse mondiale, dégainent un jour l’une de ces « Unes » chocs. Une couverture qui mettrait une fois pour toutes les grands groupes Internet en face de leur réelle responsabilité morale, à défaut d’être juridique.

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